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?Photographie de Cédric CARMIÉ

Parvis Simone-Veil

La Ville de Vichy honore Simone Veil. Mercredi 11 septembre 2019, inauguration du Parvis Simone-Veil et de l’Allée des Justes parmi les Nations, en présence de Pierre-François Veil, président du Comité Français pour Yad Vashem.

« Monsieur le Président du Comité français pour Yad Vashem, Pierre-François VEIL,
Madame le Sous-préfet,
Monsieur le Sénateur,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs Dominique LEQUET et Michel DELANNOIS, représentants des Eclaireuses et des Eclaireurs de France,
Madame Michele LONDON, Présidente de l’ACIVE,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations cultuelles, historiques, culturelles, patrimoniales et militaires,
Mesdames et Messieurs,

Bienvenue à tous sur la terrasse du grand Casino de Vichy où je suis heureux de vous retrouver.
Votre présence témoigne de l’attachement porté par les Vichyssois aux valeurs qui fondent notre ville : l’altruisme, le respect de l’autre, la cohabitation harmonieuse entre les cultures.
Avant toute chose, je veux remercier très chaleureusement la famille de Simone Veil, en particulier ses fils, Jean et Pierre-François.
Quand je vous ai contactés pour vous faire part de mon souhait de donner le nom de votre mère à un lieu emblématique de Vichy, vous avez immédiatement dit oui.
Non seulement vous avez permis la tenue de cette journée d’hommage mais, par votre bienveillance, vous avez grandement facilité les choses. Soyez-en remerciés.
Permettez-moi de remercier aussi les membres des familles des « Justes », qui sont parmi nous aujourd’hui, et notamment Mme DUPHIL-DENIS et son époux, qui ont fait le déplacement pour l’occasion, et dont je tiens à saluer la présence.
Je souhaite également saluer Monsieur Alain JACOB, fils d’Annette DENNERY, sauvée par des Justes alors qu’elle était traquée par l’Etat français.
Nous sommes heureux de pouvoir vous associer à l’hommage rendu à vos aïeux, ces hommes et ces femmes « qui ont mis leur vie en danger pour sauver des Juifs » selon la terminologie exacte du Comité Yad Vashem ; nous sommes heureux de rappeler, à vos côtés, leur contribution active, et trop souvent méconnue, au combat contre la barbarie.

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Une double inauguration nous réunit ce matin - celle de l’ « Allée des Justes parmi les Nations » et celle du « Parvis Simone-Veil » - mais, vous l’avez compris, ces deux moments sont complémentaires l’un de l’autre. Les enfants de Simone Veil ont en effet souhaité que le temps que nous lui consacrons soit doublé d’un hommage rendu à celles et ceux qui ont combattu l’horreur de la shoah.
Les Justes parmi les Nations furent des héros du quotidien, des anonymes qui, durant l’occupation de la France, se levèrent pour protéger leurs frères menacés d’une arrestation et d’une déportation vers les camps de la mort.
Tous ont accompli cette chose exceptionnelle : sauver des vies.
Les Justes vichyssois furent notamment actifs au Pavillon Sévigné, au nez et à la barbe de Philippe Pétain, qui logeait au-dessus d’eux. C’est donc à proximité immédiate de cette demeure historique que les promeneurs se verront rappeler leur action.
A Paris et à Jérusalem, les Murs des Justes ont gravé leurs noms pour l’éternité.
C’est désormais chose faite, ici, à Vichy.
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Les 5 Justes vichyssois s’appelaient Henriette Duphil, René Duphil, Elisabeth François, Pierre François et Marie Pelin.
Marie PELIN était fonctionnaire au Ministère de la Guerre.
En 1943, elle sauva les trois enfants de ses voisins, de confession juive. Abandonnant son travail, elle les cacha, comme elle aurait caché les siens, dans la ferme familiale du Puy-de-Dôme. Ils furent pleinement intégrés à la famille, se liant en particulier aux nièces de Marie, enfants du même âge.
En 1997, lors d’une cérémonie organisée à l’Hôtel de Ville de Vichy, Marie reçut la Médaille des Justes.
L’action de Marie Pelin diffère sensiblement de l’engagement des autres Justes vichyssois, les époux Duphil et François. Car évoquer ces derniers, c’est aussi comprendre le rôle important joué par le mouvement des Eclaireurs de France.
Je souhaite remercier vivement l’Association pour l’Histoire du Scoutisme Laïque pour le travail historique mené depuis des années.
Grâce à leurs documents et à ceux du Comité français pour Yad Vashem, nous avons pu retracer le parcours des Justes vichyssois.

Henriette DUPHIL était fonctionnaire à l’Education nationale ; son mari René DUPHIL était Cadre technique. Tous les deux étaient chefs Eclaireurs.
En 2011, à l’occasion de la remise de la médaille des Justes à ses parents, vous insistiez, Madame Duphil-Denis, sur l’attachement de votre famille à une certaine forme de discrétion, loin de tous les hommages rendus à leur geste salvateur.
Le deuxième couple de Justes que nous honorons aujourd’hui est composé de Pierre FRANCOIS, Commissaire national des éclaireurs de France et d’Elisabeth FRANCOIS, Commissaire régionale de la Fédération Française des éclaireuses.
Pour leur fils, Dominique FRANCOIS, qui nous a malheureusement quittés, protéger des Juifs, « ça allait de soi ». Aussi, Elisabeth FRANCOIS aimait rappeler la discrétion des paysans, autour de la maison de Saint-Etienne-de-Vicq, louée en 1943 pour héberger de nombreuses personnes traquées : les paysans savaient, et ne parlaient pas.
La conscience et l’humanité des Justes les honorent, comme elles honorent tous ceux qui ont sauvé des personnes traquées par l’Etat français, à Vichy et ailleurs. Ils sont nombreux, et nous pourrions évoquer ces histoires, ces rumeurs parfois, souvent, connues des Vichyssois :
- Une secrétaire qui distribue illégalement en Mairie de Vichy, des cartes d’alimentation
- Un hôtelier qui cache des Juifs dans les sous-sols d’un palace vichyssois
- Un Ambassadeur brésilien qui délivre des dizaines, des centaines de visas, contre les ordres de son Gouvernement
- Ces nombreux inconnus qui ont tendu la main, et qui resteront anonymes, par humilité, par pudeur, ou parfois parce qu’ils sont tombés dans l’oubli

Agir en Juste aurait dû être la norme et non l’exception. On peut même se demander comment, sans leur action et celle des Résistants, nous pourrions encore décemment justifier aujourd’hui un prétendu attachement de l’humanité à la préservation des valeurs qui la fondent ?
Les Justes parmi les Nations sont des exemples pour nous tous. Des exemples surtout pour les jeunes générations. A l’heure où nos sociétés sont mises au défi par les extrémismes religieux et politiques, sachons être attentifs et intransigeants quant au respect des principes non-négociables qui fondent notre société.
« Qui sauve un homme, sauve l’humanité toute entière » dit le Talmud.
Pour éviter l’oubli, pour entretenir le souvenir de ces actes, pour rappeler l’absolue nécessité du devoir de résistance à toutes les formes d’oppression, nous nous devions de dénommer un lieu de notre ville en mémoire des Justes parmi les Nations.
Cet acte de mémoire donne un nouvel écho à l’engagement que Simone VEIL a porté en tant que Présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.

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En mars 1944, Simone Veil, née Jacob, avait 16 ans.
Arrêtée à Nice, où elle était, elle aussi, « éclaireuse », elle fût déportée au Camp d’extermination d’Auschwitz avec sa mère Yvonne et sa sœur Madeleine. Elle portait le matricule numéro 78651.
Simone Jacob raconte l’arrivée au camp d’extermination le 15 avril 1944, je cite : « Le convoi s’est immobilisé en pleine nuit. Avant même l’ouverture des portes, nous avons été assaillis par les cris des SS et les aboiements des chiens. Puis les projecteurs aveuglants, la rampe de débarquement, la scène avait un caractère irréel. On nous arrachait à l’horreur du voyage pour nous précipiter en plein cauchemar ».
Seuls ceux qui ont survécu peuvent témoigner du traumatisme de cette expérience.
Au camp, il fallait sauver sa peau. Mais pour Simone Jacob, il fallait aussi rester soudé avec sa famille et avec ses amies.
La chance, le hasard, le destin, tout se mêlait. Pour Simone Jacob, le destin ce fût cette chef de camp qui la trouva – je cite - « vraiment trop jolie pour mourir ici. Je vais faire quelque chose pour toi en t’envoyant ailleurs ». A quoi Simone Jacob répondit qu’elle ne partirait qu’avec sa mère et sa sœur Madeleine, leur offrant un répit dans l’horreur.
Un simple répit car il fallait encore survivre à la « marche de la mort », emmenés, à pas forcés, par les Allemands fuyant l’avancée de l’armée soviétique. Sa mère n’en réchappera pas. Son père et son frère Jean périront aussi en déportation.
Au sortir de la guerre, la famille Jacob est décimée. Restent Simone et ses sœurs, Madeleine et Denise.
A Auschwitz, Simone Jacob a rencontré celle qui va devenir sa meilleure amie pour la vie, Marceline Rosenberg. Cette dernière raconte la beauté de Simone Jacob, la cruauté des kapos, la solidarité des déportés.
Elle dit aussi, parlant d’elle et de Simone Jacob : « On avait le culot et l'optimisme de l'adolescence, la peur était présente, mais nous n'étions pas dominées par elle. On avait soif, on avait faim ensemble, et on chantait ».
C’est sans doute cet optimisme qui va aider Simone Jacob à survivre et à construire le destin qu’on lui connaît. Un optimisme « dénué d’illusions », comme elle le définira elle-même.
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L’optimisme plutôt que l’aigreur ou le goût de la revanche.
C’est cet optimisme, encore, qui lui fera souhaiter dès 1945 l’union des Nations européennes pour tourner la page d’un demi-siècle de combats fratricides.
« Dès mon retour des camps, dit-elle, j’étais convaincue que si nous ne faisions pas la paix cette fois avec les Allemands, nous étions bons pour une troisième guerre mondiale et des horreurs encore pires […]. Pour les générations futures, il fallait construire cette Entente qui, à mes yeux, ne devait pas se limiter à l’Allemagne et à la France. »
Construire l’avenir, ne pas se résigner à la fatalité, résister à la pente mortifère après avoir connu l’enfer sur terre : tel fût le combat de sa vie. Tous les engagements de Simone Veil portent la trace de cette rébellion dénuée d’illusions.
Ainsi, Simone Veil sera l’un des principaux architectes de la construction européenne, premier Président d’un Parlement européen élu au suffrage universel direct. C’était en juillet 1979, voici 40 ans. Dans cette fonction, elle imposa une autorité naturelle et s’efforça de donner au Parlement européen une plus grande visibilité et de renforcer son poids politique.
Simone Veil sera aussi, toute sa vie, une féministe engagée, même si elle n’aimait pas ce terme. Une féministe en acte, à sa manière, sans slogans.
Femme libre dans un milieu encore corseté, elle imposera son droit au travail dans une société patriarcale, et deviendra magistrate.
Femme libre dans un camp politique conservateur, elle défendra contre vents et marées le projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse, texte à vocation sociale destiné prioritairement à protéger contre les dangers des avortements clandestins.
Ministre de la santé de 1974 à 1979, Ministre d’Etat - Ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville – de 1993 à 1995 puis membre du Conseil Constitutionnel, Simone Veil ne fût pas seulement une personnalité politique, elle fût une femme d’Etat.
Elle en possédait toutes les vertus : une fidélité fondamentale aux valeurs inaliénables, un respect intangible de la personne humaine, une vision transpartisane des enjeux politiques, une réelle empathie à l’égard des plus faibles.
Elle incarnait aussi le combat contre l’extrême-droite.
Elle symbolisait parfaitement la devise de notre République – Liberté, égalité, fraternité, et incarnait comme peu de monde la figure symbolique de Marianne.

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Pierre-François VEIL, vous l’avez dit lors de l’hommage rendu à Simone VEIL aux Invalides, vous avez « partagé » votre mère avec la Nation. Votre père, vos deux frères, et vous-mêmes, avez accompagné et soutenu une femme d’Etat qui a fait beaucoup pour notre pays. Je tiens particulièrement à associer Antoine VEIL à l’hommage rendu, ce matin, à celle qui fut son épouse pendant 67 ans.

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En France, nombreux sont les lieux qui désormais portent le nom de Simone Veil. Mais à Vichy, cette démarche trouve un écho particulier.
Car c’est à Vichy que, pour des raisons de commodités, le Gouvernement en fuite choisit de s’installer.
Pourtant, Vichy n’avait rien demandé, rien sollicité.
C’est ici même, dans la salle de l’Opéra, que furent rassemblés les Parlementaires de la IIIème République qui, à une très forte majorité, ont soutenu Philippe Pétain.
C’est de Vichy qu’émergèrent les lois d’exception « portant statut des Juifs ».
C’est donc ici, à Vichy, que furent prises des décisions qui allaient changer le destin des Juifs de France, celui de Simone Veil et de sa famille.
A Vichy, il y eut, comme partout ailleurs, des résistants. Et ces « Justes parmi les Nations » que nous honorons aujourd’hui.
C’est aussi à Vichy que se leva la première résistance institutionnelle, par le refus de 80 parlementaires d’accorder les pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain.
Donner au parvis de notre plus beau bâtiment le nom de Simone Veil, que tout oppose au régime de Pétain, c’est affirmer l’échec des idéologies de haine et la victoire de la République.
C’est aussi célébrer le parcours exceptionnel d’une femme qui, regardant vers l’avenir, n’abdiqua jamais.
A travers cette double inauguration, nous posons aujourd’hui des jalons pour demain. Des repères à destination des générations futures, pour qu’elles se souviennent qu’il fût un temps pas si lointain, au cours duquel l’Etat français sombra collectivement. Pour qu’elles entendent aussi le message d’espoir que nous envoient les Justes parmi les nations et, avec eux, Simone Veil.

Je vous remercie. »

 

Reportage France 3 Auvergne 11/09/2019 :

 

Reportage France 3 Auvergne 11/09/2019 :

 

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