La cérémonie en l’honneur des 80 parlementaires ayant refusé de voter les pouvoirs constituants au Gouvernement Pétain, le 10 juillet 1940 à Vichy, s’est tenue ce 10 juillet 2021. Après des dépôts de gerbes sur le parvis du Palais des congrès-Opéra, Frédéric Aguilera, entre autres, a pris la parole devant une assemblée restreinte composée d’officiels et de descendants des 80 parlementaires.
10 juillet 2021
Opéra de Vichy
Monsieur le Préfet,
Madame la Sous-Préfète,
Madame la Députée,
Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les élus régionaux, départementaux et municipaux,
Monsieur le Président du « Comité en l’honneur des 80 parlementaires et des passagers du Massilia »,
mon cher Joseph BLÉTHON
Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,
Mesdames et Messieurs,
Le Maréchal Foch a dit que : « Parce qu'un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. ». Ce matin, comme tous les 10 juillet, Vichy n’a pas peur de mener le combat du devoir de mémoire, aux côtés du « Comité en l’Honneur des 80 parlementaires du 10 juillet 1940 ». C’est un hommage à la démocratie qui nous rassemble. Un hommage à la mémoire des 80. 80 parlementaires qui, dans un contexte de compromission, firent le choix d’affirmer leur conviction. 80 voix, dont les mots doivent encore résonner dans ces murs.
Écoutons les propos tenus par Maurice MONTEL, député du Cantal, à Pierre LAVAL, la veille du vote : « Pour moi, Pétain est le Bazaine de 1940. En ce qui concerne le texte lui-même, c’est l’assassinat de la République. Je suis un ancien élève de l’école républicaine. Mon maître, dans son cours d’instruction civique, m’a fait aimer la République. Je ne peux pas consentir à participer à son assassinat. Je voterai contre. » 80 hommes qui eurent l’audace et le courage de s’affranchir de l’essaim, aux destinées funestes, en résistant à la tentation majoritaire et parfois aux menaces. Ici même, dans ces fauteuils, 57 députés et 23 sénateurs se sont opposés à un vote dont la conséquence directe fut la disparition de notre République. Des hommes qui furent l’honneur de la République, quand l’État français, sous l’autorité de Philippe Pétain, en fut le déshonneur et la honte !
Vichy fut le théâtre du premier acte de résistance de cette période sombre de l’Histoire, tandis qu’à Londres, le Général de Gaulle portait l’âme de la France. Le 10 juillet 1940, la République s'effondrait, cédant la place à un État français autoritaire, liberticide, antisémite, aux antipodes de nos valeurs. Un régime politique qui livra ses compatriotes -nos compatriotes- à une mort certaine parce qu’ils étaient juifs. Cette honte nationale est inscrite à jamais dans notre histoire de France. Une ignominie née au sein même des institutions de la République. Une ignominie que la France ne digère que trop lentement. Une France, un État qui, 80 ans après, est toujours engagée dans un long parcours de reconnaissance de sa responsabilité, en particulier dans la déportation des juifs.
A la libération, puis, lors de son retour au pouvoir, le Général de Gaulle se refuse à reconnaître la responsabilité de la France, dans un processus classique et normal de réconciliation nationale. Ce fut également le cas de ses successeurs : Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, et François Mitterrand. Pour eux, pendant l'occupation allemande, la seule France légitime était la France Libre.
Quarante-cinq ans après la rafle du Vel d’Hiv, en 1987, Simone Veil, alors députée européenne, participe aux commémorations avec plusieurs autres responsables politiques. Ni le président de la République, ni le Premier ministre ne sont présents. Elle affirme alors, dans son discours, que le régime de Pétain s’est rendu complice de crime contre l’humanité. Elle déclarait : « Il faut toujours rester strict sur les principes, ne pas accepter ce genre de négociations, car on se met au même rang que ceux qui commettent les pires horreurs. Aujourd'hui nous devons entendre cette leçon, c'est comme ça que nous resterons fidèles à la mémoire, fidèles au souvenir, en sachant que l'on doit refuser le mal dès qu'il se manifeste. On doit refuser toute haine entre les êtres humains, on doit refuser tout racisme, car, de fil en aiguille et de petit compromis en petit compromis, on ne sait jamais quand on arrive au pire » (fin de citation). En 1992, 50 ans après, le premier président de la République à participer aux commémorations de la Rafle du Vel d'Hiv fut François Mitterrand. L'État n'a toujours pas reconnu sa responsabilité. À l'époque, François Mitterrand estime, encore, que la République n'est pas, je cite, « comptable des actes de Vichy » !
François Mitterrand assiste, malgré tout, à ces commémorations et dépose une gerbe de fleurs, mais refuse de prendre la parole. La reconnaissance viendra trois ans plus tard. Pour la première fois, en 1995, le Président de la République Jacques Chirac reconnait la responsabilité de la France dans la déportation et l'extermination, dans un discours historique. Je cite : « Reconnaître les fautes du passé, ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. (…) Oui, la folie criminelle de l'occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l'État français ». Deux ans plus tard, en 1997, à l'occasion des commémorations du 55ème anniversaire de la rafle, le premier ministre Lionel Jospin réitère ce message. En 2012, François Hollande va encore plus loin en disant : « Le crime fut commis en France par la France ». Propos réaffirmés par le Président Macron qui déclara : « C'est bien la France qui organisa la rafle du Vel d'Hiv ». Ce processus politique d’acceptation fut long et, malheureusement, il n’est pas totalement terminé. Une acceptation longue, aussi, sur le plan juridique. Il faudra attendre février 2009 pour que le Conseil d’État, dans une décision dite « Hoffmann Glemane », énonce que la responsabilité de l’Etat Français était engagée dans la déportation ; et que l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944, constatant la nullité de tous les actes de l’autorité de fait, n’a pu avoir pour effet de créer un régime d’irresponsabilité.
Si j’ai pris le temps d’expliquer ce lent processus, c’est que j’ai la conviction qu’il reste fragile mais également inachevé. Fragile, car les populistes, en particulier d’extrême-droite, contestent toujours cette responsabilité. Et, dans un contexte démocratique où ils progressent, nous devons demeurer extrêmement vigilants. Inachevé, car j’ai la conviction que ceux qui refusent de nommer clairement «État Français » cette page de notre histoire, empêchent d’ancrer définitivement notre responsabilité. Un ancrage pourtant indispensable pour le devoir de mémoire, indispensable pour éviter de reproduire nos erreurs. Voilà le sens profond de mon combat contre l’utilisation de l’expression « Régime de Vichy ». Car oui, derrière cette expression, il y a bien cette idée de « C’était Vichy, donc ce n’était pas la France ». Voilà pourquoi je souhaite que, dans un avenir proche, un Président de la République, accepte notre invitation, dans le cadre d’une visite mémorielle, pour poursuivre ce processus de reconnaissance de la responsabilité de l’Etat.
Les « 80 » furent l’Honneur de la République, à nous de leur être fidèles. Fidèles à l’esprit de résistance de ces parlementaires, acceptons enfin de regarder le passé en face, de sortir du déni et d’assumer nos responsabilités.
Je vous remercie.