La cérémonie en l’honneur des 80 parlementaires ayant refusé de voter les pouvoirs constituants au Gouvernement Pétain, le 10 juillet 1940 à Vichy, s’est tenue ce 10 juillet 2018 . Après des dépôts de gerbes sur le parvis du Palais des congrès-Opéra, Frédéric Aguilera, entre autres, a pris la parole devant une assemblée restreinte composée d’officiels et de descendants des 80 parlementaires.
10 juillet 2018
Opéra de Vichy
Madame le Sous-Préfet,
Madame la Vice-Présidente,
Madame la Députée,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Président du Comité en l’honneur des 80 parlementaires,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations judiciaires, administratives, militaires et religieuses,
Mesdames et Messieurs,
C’est empreint d’une certaine solennité, de gravité même, que j’ai l’honneur de vous accueillir ce matin pour honorer la mémoire des 80 parlementaires français qui, le 10 juillet 1940, votèrent « Non » au projet de loi constitutionnelle présenté par Pierre Laval et refusèrent par là-même d’accorder « les pleins pouvoirs » au Maréchal Pétain.
Une solennité renforcée par notre présence sur le lieu même où se déroula cet évènement historique, dans cette salle de l’Opéra de Vichy qui a l’habitude de penser l’âme humaine à travers sa représentation imaginaire mais qui, ce jour-là, fût le théâtre d’une tragédie hélas bien réelle.
En organisant pour la première fois cet hommage dans cette salle de l’Opéra, transformée, ce funeste mercredi de juillet 1940, en Assemblée nationale, je voulais offrir à la mémoire de ces « premiers résistants institutionnels » que furent les 80 parlementaires un écrin digne de leur bravoure.
80 parlementaires qui se dressèrent contre 569 de leurs collègues, lesquels se laissèrent porter par le vent dominant, happer par la panique. 569 élus qui abdiquèrent la République à la déraison d’un régime d’exception.
En revanche, par leur refus de voter les pleins pouvoirs « constituant » au Maréchal Pétain, les 80 Parlementaires refusèrent d’entraîner la France dans la tourmente.
Ils rejetèrent le déshonneur d’un vote qui devait ternir durablement notre histoire nationale.
Ils s’efforcèrent d’écarter l’instauration d’un régime dont les choix politiques désastreux devaient broyer des vies en balayant nos valeurs communes.
Selon la formule consacrée, s’ils « étaient trop peu pour sauver la République, ils furent suffisamment nombreux pour sauver l’honneur de la France. »
Le climat de ce 10 juillet 1940 était délétère, les pressions multiples.
Léon Blum l’expliquera quatre ans plus tard en évoquant « l’hébétude, la résignation, la peur des bandes de Doriot dans les rues, la peur des soldats de Weygand à Clermont, la peur des Allemands à Moulins ».
Le vote des 80 fût motivé par des motifs variés :
Le refus de l’autocratisme, pour les uns
La défense de la République et de ses libertés, pour les autres
La haine ancestrale de l’Allemagne parfois aussi
Ou encore des stratégies politiques diverses…
Pourtant, c’est bien d’une volonté transpartisane qu’est venu ce vote. Dans un climat en proie à l’instabilité, où l’incertitude régnait, nombre d’entre eux furent habités par une force politique, au sens noble du terme, qui fait trop souvent défaut. Ils ont transformé ce vote en acte de résistance.
S’il n’est pas possible de raconter en détail aujourd’hui les vies de ces 80 héros de la République, il faut toutefois se souvenir du fait que nombre d’entre eux payèrent cher leur engagement : parmi les 80, 22 furent incarcérés, 10 déportés et 5 ne revinrent pas.
J’aurais pu ce matin citer leurs noms. Mais, à la place, j’ai choisi de faire un geste fort qui, je crois, nous permettra d’honorer leur acte comme il se doit.
Ainsi, répondant favorablement à une demande formulée par plusieurs d’entre vous, j’ai demandé aux services techniques de la Ville d’inscrire les noms de chacun de ces 80 parlementaires sur autant de balustres de la terrasse de l’Opéra.
Le souvenir de ces hommes, célèbres ou moins connus, de droite comme de gauche, venus de toutes les régions de France, sera ainsi gravé pour l’histoire et les générations futures.
A travers ce geste, la Ville de Vichy réaffirme son attachement à un acte héroïque commis sur son sol.
Mais, pour autant, je me refuse à réduire l’histoire de Vichy à une petite partie de son histoire, quand bien même son écho médiatique résonne encore aujourd’hui.
Je refuse la métonymie détestable qui a servi autrefois d’exutoire, et qui fait peser sur notre ville une responsabilité d’envergure nationale.
On ne le répètera jamais assez : personne à Vichy n’a invité le Maréchal Pétain et son régime. Celui-ci a imposé sa présence pour des raisons techniques, et non idéologiques. Les Vichyssois n’ont pas choisi, ils ont subi, et ils ont même subi deux fois :
Une première fois en 1940, ayant été expulsé de leurs maisons, de leurs hôtels, en étant forcés de côtoyer au quotidien des fonctionnaires plus ou moins zélés, rencontrant au jour le jour les membres d’un Gouvernement parfois fallacieux, souvent fantoche.
Une deuxième fois en subissant l’image d’un passé qui ne passe pas, image qui nuit à notre ville et qui irrite encore nombre de nos concitoyens.
Il est d’ailleurs regrettable de constater combien une certaine presse nationale ne sait voir Vichy qu’à travers le prisme de l’Etat Français. Un point de vue qui colporte, à chaque fois, en filigrane, le discours insidieux d’une prétendue névrose locale. C’est pourtant cette obsession pour « Vichy, Ville d’occupation » qu’il faudrait étudier !
Mais il n’est pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et nous ne parviendrons pas à convaincre ceux qui ne le veulent pas du fait que Vichy c’est d’abord la Reine des Villes d’eaux, la capitale du thermalisme et du bien-être, la ville aussi qui très tôt fit du sport un moteur de son développement : bref, bien plus que ces 4 années d’occupation par le gouvernement national.
Alors, oui, je suis favorable à l’émergence d’un grand centre d’étude – version moderne d’un musée – de l’histoire de Vichy dans lequel toutes les périodes sans exception seraient évoquées : époque romaine, Napoléon III, belle époque, années folles, 2nde guerre mais aussi 1ère guerre mondiale, quand Vichy fût transformé en hôpital militaire, ses hôtels réquisitionnés pour la cause nationale. Entre 1914 et 1918, plus de soixante hôtels vichyssois devinrent des hôpitaux provisoires, plusieurs milliers de lits mis à disposition des blessés de nos armées. En 2018, année du centenaire de l’armistice, soyons fiers de cette contribution active des Vichyssois à l’histoire de notre nation.
En ce jour de commémoration de 80 héros français, je veux aussi saluer la mémoire d’une grande personnalité française liée presque directement à l’histoire des 80, et qui nous a quittés voici un an. Je veux parler de Simone VEIL. Figure politique mais surtout passeur de mémoire, qui eut à souffrir dans sa chair des décisions du régime de l’Etat français, déportée, agressée, et que la patrie reconnaissante vient d’honorer en lui faisant une place, il y a quelques jours, au Panthéon.
Comme elle, les 80 parlementaires avaient cette « part secrète et inaliénable qu’on appelle la dignité ». Ils n’ont pas cédé parce qu’ils savaient ce qu’était la France, et voulaient conserver l’idée de ce qu’était la République (pour paraphraser l’hommage rendu par le Président Macron à Simone VEIL).
Sachons être les héritiers de leur action, faite de courage et de lucidité. Montrons-nous dignes de leur bravoure, au jour le jour dans nos activités électives, professionnelles ou associatives mais aussi dans nos vies quotidiennes. N’oublions pas que c’est par l’exemple, d’abord, que nous transmettrons leur message aux jeunes générations.
Je vous remercie.